Dr Mark Tarnopolsky : Je m’appelle Mark Tarnopolsky. Je suis le directeur de la Neuromuscular and Neurometabolic Clinic de l’Université McMaster. Nous voyons chaque année environ 2 000 patients atteints d’un trouble musculaire, neurologique ou neurométabolique et nous nous occupons de tout, du diagnostic au traitement, en passant par les analyses génétiques.
Chapitre 1 : examen neurologique
Dr Mark Tarnopolsky : Je vais maintenant réaliser un examen neurologique. Les gens sont parfois un peu intimidés par l’examen neurologique, mais on peut le faire en moins de cinq minutes. Je vais maintenant effectuer cet examen sur Erin [la patiente]. Vous êtes d’accord pour que je vous examine, Erin?
PATIENTE : Oui.
Dr Mark Tarnopolsky : Bien. Si une personne a des problèmes mentaux ou cognitifs, nous faisons un examen de l’état mental, mais ce n’est pas un problème qui survient dans la majorité des maladies musculaires que nous voyons. Nous allons commencer par les nerfs crâniens, puis nous passerons à l’examen moteur, l’examen des réflexes, l’examen sensoriel et l’observation de la démarche.
Chapitre 2 : nerfs crâniens
Dr Mark Tarnopolsky : Nous allons simplement commencer par observer. Nous voyons qu’il n’y a pas de ptose, dans le cas de certains troubles comme la DMOP ou la myasthénie, on observe une ptose. Je vais placer ma main ici. Vous devez suivre mon autre main, vers le haut, vers le bas. Je fais un H. Vers le haut, vers le bas. Vous n’avez pas vu double, n’est-ce pas?
PATIENTE : Non, pas du tout.
Dr Mark Tarnopolsky : Non, alors nous n’avons observé aucune ophtalmoplégie et la patiente n’a pas signalé de diplopie. Dans le cas de la DMOP, nous voyons une ptose, mais pas d’ophtalmoplégie. Dans le cas de la maladie mitochondriale, il peut y avoir une ophtalmoplégie, ou dans le cas de la myasthénie grave. Nous allons maintenant examiner les yeux, et ce n’est pas difficile avec l’ophtalmoscope. Nous allons premièrement examiner la réaction de la pupille. Regardez droit devant vous. Les pupilles sont bien symétriques, elles passent de 4 millimètres à 2 millimètres. Nous allons maintenant regarder les cataractes et le fond de l’œil. On peut le faire très rapidement. Tout d’abord, quand vous examinez les cataractes, il faut habituellement régler l’ophtalmoscope à 7 avec le filtre vert. Pouvez-vous vous asseoir bien droite et regarder devant vous? Je vais vous toucher l’épaule. J’examine l’œil droit avec mon œil droit. Regardez au loin. Habituellement si vous vous éloignez et vous vous rapprochez à 7 avec un filtre vert rond, vous allez voir les cataractes apparaître. Mais nous n’avons rien vu. Il n’y a pas de cataractes. Nous pouvons observer des cataractes dans certains types de maladies, comme la maladie mitochondriale. Nous en observons aussi dans différents types de dystrophie musculaire, comme la dystrophie myotonique de type 1 et 2. Je vais vous toucher l’épaule. L’œil gauche avec l’œil gauche. Regardez droit devant vous. Je m’approche, je m’éloigne. Aucune cataracte.
Ensuite pour regarder le fond de l’œil, on règle à 2. Regardez droit devant. Nous pouvons voir le nerf optique et l’arrière de l’œil. Aucune rétinite pigmentaire. Tout est beau. Dans le cas de la maladie mitochondriale, nous observons une atrophie optique et d’autres choses. Si vous ne vous sentez pas à l’aise de réaliser cet examen, il n’y a pas de problème, mais si la personne a des symptômes visuels, vous devriez l’adresser en ophtalmologie. Regardez droit devant vous. Le disque optique est beau. Aucune trace de rétinite pigmentaire. Je range cet instrument. Avez-vous parfois du mal à avaler?
PATIENTE : Non.
Dr Mark Tarnopolsky : Absolument aucun. Si elle avait eu des problèmes de déglutition, nous aurions examiné la gorge. Juste avec l’otoscope. Ouvrez la bouche, dites aah. On peut voir que son palais bouge de façon symétrique. Écouter la voix fait aussi partie de l’examen. Les patients qui présentent une faiblesse au fond de la gorge, dans le cas de la DMOP ou de la myasthénie, par exemple, ont souvent une voix nasale. Erin n’a pas de problème de ce genre.
Chapitre 3 : examen moteur
Dr Mark Tarnopolsky : Nous allons maintenant procéder à l’examen moteur. Il faut principalement vérifier la masse, le tonus et la force musculaires. Commençons par la masse. Avez-vous perdu de la masse musculaire? Est-ce que certains de vos muscles ont rapetissé?
PATIENTE : Non.
Dr Mark Tarnopolsky : Vous n’avez pas l’impression d’avoir maigri ou quoi que ce soit?
PATIENTE : Non.
Dr Mark Tarnopolsky : Nous allons maintenant regarder s’il y a une atrophie des muscles des mollets, il n’y en a pas. On regarde l’autre mollet ici, on ne voit aucune asymétrie. Dans le cas de certaines dystrophies, comme la dystrophie musculaire de Becker ou des ceintures, les mollets sont hypertrophiés. On ne voit aucun changement dans la masse musculaire des mollets. Nous allons maintenant faire une observation rapide du tonus. Détendez-vous. C’est bien. Son tonus est bon, il est normal. En cas de maladie du motoneurone supérieur, on observe une résistance soudaine qui disparaît s’il s’agit d’un problème touchant le faisceau cortico-spinal. S’il y a des problèmes touchant les noyaux gris centraux, il y aurait une perte de tonus comme celle observée chez les enfants qui sont mous et hypotoniques parce qu’ils ont une maladie musculaire qu’on appelle l’hypotonie et qui est une forme de faiblesse.
Nous allons maintenant jeter un coup d’œil aux muscles proximaux. Pouvez-vous lever les bras et pousser vers le haut? Vous forciez vraiment vers le haut, n’est-ce pas?
PATIENTE : Oui, vraiment.
Dr Mark Tarnopolsky : Avez-vous eu mal?
PATIENTE : Non, pas du tout.
Dr Mark Tarnopolsky : OK, une faiblesse sans douleur. C’est une véritable faiblesse. Parfois, si un patient a un problème à l’épaule, on a l’impression qu’il est faible, mais en fait, c’est la douleur qui l’affaiblit. Il est évident que vous avez une faiblesse, Erin, on peut le voir. Pouvez-vous tenir vos bras comme ça? Poussez vos bras vers le haut. OK. Très bien. On voit qu’il y a un peu de faiblesse ici. Poussez vers le haut. OK. Il y avait un peu de faiblesse ici aussi, non?
PATIENTE : Un petit peu, oui.
Dr Mark Tarnopolsky : Bien. Pour la flexion et l’extension des bras, elle présente un peu de faiblesse. On évalue la faiblesse sur une échelle de 0 à 5. À 0, il n’y a pas de contraction du tout; à 1, il y a un soupçon de contraction; à 2, le patient peut contracter son muscle, mais il faut éliminer la pesanteur. Par exemple, elle réussissait à lever ses bras vers le haut en m’opposant une certaine résistance, mais si elle était très faible et que je poussais sur son bras comme ça – essayez de ramener votre bras, bien – donc, si elle ne pouvait pas lever son bras comme ça, mais pouvait comme ça, ce serait une faiblesse de grade 2, parce que j’ai éliminé la pesanteur. Grade 4 est un peu plus subjectif. Le grade 4+ signifie une force presque complète; à 4, il y a une perte de force, et à 4- que vous avez juste un peu de force. Ici, la force d’Erin dans les muscles proximaux était de grade 4.
Maintenant nous allons vérifier s’il y a décollement des omoplates. Levez votre bras vers l’avant et poussez, poussez, poussez... L’omoplate s’est effectivement décollée du dos, et on peut la sentir se relever, ou si le dos de la patiente n’avait pas été recouvert d’un vêtement, on aurait pu voir l’omoplate se décoller. C’est une caractéristique de la maladie de Pompe et aussi de la myopathie facio-scapulo-humérale, il y a donc une faiblesse ici. Nous allons maintenant examiner ce côté. Poussez vers le haut, poussez, poussez, poussez. Ici aussi il y a un décollement de l’omoplate. Il y a donc effectivement une faiblesse proximale. Nous allons maintenant examiner les muscles proximaux. Pouvez-vous serrer mes doigts? Le plus fort que vous pouvez. C’est bien, c’est fort. Je vais vous demander maintenant de serrer fort et de relâcher le plus rapidement possible. Lâchez! Bien. Sa force distale est tout à fait normale, et on n’observe aucune myotonie. Il existe une maladie qui s’appelle la dystrophie myotonique, mais ce n’est pas ce que vous avez, selon moi. Si vous aviez le type 1, vous auriez une raideur dans les mains. Nous allons faire une autre vérification rapide. Écartez les doigts, poussez bien fort. En présence de myopathies et de neuropathies distales, on observe une faiblesse distale. Ici, la force distale est normale, mais il y a une faiblesse proximale.
Maintenant, nous allons nous concentrer sur les membres inférieurs et terminer l’examen moteur. Levez votre genou. Pouvez-vous le lever jusqu’à ma main? Poussez, poussez. L’autre côté maintenant. Levez-le. Poussez, poussez. On voit qu’elle peut à peine lever le genou. De ce côté, elle ne pouvait pas le lever contre la pesanteur, donc ce serait un 2, à gauche, elle pouvait lever le genou contre la pesanteur, ce serait un 3. De toute évidence, nous observons une certaine faiblesse ici. Essayez d’écarter les jambes. OK, il y a de la force ici. C’est un mouvement d’abduction, vers l’extérieur. L’adduction, c’est le fait de ramener vers l’intérieur.
On voit clairement une faiblesse dans la flexion de la hanche et en adduction, mais pas en abduction. C’est une caractéristique courante de différents troubles musculaires. Maintenant, nous allons examiner les muscles plus distaux, ici. Détendez-vous et relevez les orteils avec le plus de force possible. C’est bien, il y a de la force. Et de ce côté? Poussez vers le haut. Il y a donc une certaine faiblesse, et nous pourrions tester d’autres muscles. Mais pour une première évaluation dans un cabinet de médecine familiale ou de médecine interne, ce serait les principaux muscles à examiner. On observe assurément une faiblesse proximale. Nous allons donc faire d’autres vérifications.
Chapitre 4 : réflexes, examen sensoriel et démarche
Dr Mark Tarnopolsky : La partie suivante de l’examen porte sur les réflexes. Je vais vérifier ici... Détendez votre bras. Je teste le réflexe stylo-radial, et on peut voir que tout va bien, il est parfait. Vraiment, c’est tout ce que vous avez à faire pour voir si les réflexes sont normaux, à moins que le patient ait une douleur au cou ou une faiblesse d’un côté du bras. Dans les membres inférieurs – détendez la jambe – on peut déclencher un réflexe, et nous avons un réflexe normal ici aussi. Si un réflexe est complètement absent, il est de grade 0. Si on n’obtient aucun réflexe la première fois, on peut détourner l’attention du patient, et le réflexe serait alors de grade 1. Par exemple, si je n’obtenais de réflexe ici, je pourrais demander à la patiente de faire un crochet avec ses mains et de tirer vers l’extérieur et si à ce moment j’obtenais un réflexe, il serait de grade 1. C’est ce qu’on appelle la manœuvre de Jendrassik. Mais ici les réflexes sont normaux. Chez les patients atteints d’une maladie musculaire, s’ils deviennent très faibles, ils finissent par perdre le réflexe du genou parce que les muscles sont trop faibles pour générer un réflexe. En pratique clinique, les seuls réflexes que nous avons vraiment besoin d’évaluer sont le réflexe stylo-radial, le réflexe du genou et celui de la cheville. Le réflexe de la cheville disparaît rapidement dans les cas de neuropathie, mais plus tardivement dans les genoux en cas de myopathie.
Pour l’examen sensoriel, comme Erin nous a dit qu’elle n’avait aucun problème d’engourdissement ni de picotements, nous allons juste faire une évaluation rapide. Parfois, les patients qui sont atteints d’une maladie musculaire et d’autres troubles neurologiques présentent des carences. Par exemple, une carence en vitamine D ou en vitamine B-12, ou même un prédiabète peut nuire aux nerfs. Avec un diapason, il faut utiliser un 128, pas un 256, pour faire ce test. Nous allons maintenant... Laissez votre jambe molle. Sentez-vous la vibration ici?
PATIENTE : Oui.
Dr Mark Tarnopolsky : Bien. Dites-moi à quel moment vous ne la sentez plus.
PATIENTE : Je ne la sens plus.
Dr Mark Tarnopolsky : OK. Parfaitement normal. Je fais la même chose ici. Sentez-vous la vibration?
PATIENTE : Oui.
Dr Mark Tarnopolsky : Dites-moi à quel moment vous ne la sentez plus.
PATIENTE : Je ne la sens plus.
Dr Mark Tarnopolsky : Parfaitement normal. Maintenant nous allons vérifier la sensation. Erin n’a pas de problème d’engourdissement ni de picotements. Nous allons juste faire une évaluation rapide, tout simplement en appliquant ici le diapason, qui est froid. Sentez-vous le froid?
PATIENTE : C’est froid.
Dr Mark Tarnopolsky : C’est froid, ici?
PATIENTE : C’est froid.
Dr Mark Tarnopolsky : Bon, elle sent le froid. Nous évaluons donc les deux voies sensorielles principales. La douleur et la température sont propagées par une fibre, et la vibration et la proprioception, par une autre. Ces deux voies sont parfaitement normales. On ne s’attend à aucune anomalie de ce côté en cas de maladie musculaire. Je ne crois pas que vous avez une maladie neurologique parce qu’en cas de neuropathie périphérique ces voies seraient touchées.
Vous pouvez utiliser le diapason ou encore prendre le marteau à réflexe... Et le glisser sous le pied vers les orteils. On a obtenu ici une petite réaction de retrait. Si elle avait un problème touchant le faisceau pyramidal, ses orteils se retrousseraient vers le haut. Par exemple, en cas d’AVC ou de lésion de la moelle épinière, les orteils s’écarteraient, mais ici ses orteils ont fait comme ça, sans se retrousser vers le haut. C’est normal. En général, ils restent pareils ou parfois ils se replient vers l’intérieur. Quand les orteils vont vers le haut et s’écartent en éventail, la réaction est anormale. Vous n’avez pas du tout ce genre de problème. OK. Nous avons donc établi avec certitude ici qu’il y a présence d’une faiblesse proximale. Vous avez dit que vous aviez parfois de la difficulté à vous lever d’une chaise ou du sol. Vous avez aussi dit que votre démarche était un peu inhabituelle. J’aimerais maintenant que vous vous assoyiez sur cette chaise qui est un peu plus basse et que vous vous leviez. Je veux voir comment vous faites. Je vous demanderais aussi de faire quelques pas.
PATIENTE : OK.
Dr Mark Tarnopolsky : Assoyez-vous. Bien. Je vais me placer là. Quand vous serez prête, j’aimerais que vous vous leviez, comme vous le feriez normalement chez vous, et que vous fassiez quelques pas pendant que je vous observe.
PATIENTE : OK.
Dr Mark Tarnopolsky : Allez-y.
PATIENTE : OK.
Dr Mark Tarnopolsky : OK, parfait. Vous pouvez retourner vous asseoir. OK. C’est cette démarche que les gens ont remarquée, n’est-ce pas?
PATIENTE : Oui, c’est ça.
Dr Mark Tarnopolsky : OK. Ce que nous avons vu, c’est que lorsqu’elle se lève d’une chaise, à cause de la faiblesse proximale, il lui est impossible d’utiliser la force juste pour se mettre debout. Erin, ce que vous avez fait, c’est que vous avez posé vos mains sur vos cuisses pour compenser et vous aider à vous lever de la chaise. Comme les muscles ici sont faibles, lorsque vous vous mettez à marcher, les hanches s’affaissent un peu, ce qui fait que vous vous balancez un peu.
Chapitre 5 : conclusion de l'examen
Dr Mark Tarnopolsky : Quand on regarde la situation dans son ensemble, c’est-à-dire la faiblesse que vous éprouvez, le taux d’enzymes musculaire élevé, la faiblesse dans les épaules et les hanches, il faut prendre en considération divers troubles musculaires. Je ne vois aucune toxine ni aucun médicament qui aurait pu avoir cet effet-là. Nous devons donc trouver une explication génétique. La bonne nouvelle c’est que, comme personne de votre famille n’est touché, vous n’avez pas à vous inquiéter pour vos enfants. En général, c’est la mère ou le père qui est porteur d’un mauvais gène. Nous allons donc orienter nos recherches vers la dystrophie musculaire des ceintures et une maladie que l’on appelle maladie de Pompe. La maladie de Pompe peut ressembler à la dystrophie musculaire des ceintures et il existe un traitement précis. C’est pour cette raison que nous voulons vraiment poser un diagnostic. Aussi, je crois que c’est important pour vous de savoir, puisqu’une fois que nous aurons le diagnostic génétique, le pronostic, le risque familial et tout cela, nous allons pouvoir discuter de ce que nous pouvons faire pour traiter la maladie. Et c’est ce qui est le plus important pour vous.
Bien. Merci.